Interview

Bruno Letort

Comment surprendre l’auditeur·rice ?

Bruno Letort

À l’occasion de son cycle de conférences Les langages du son au cinéma, nous avons rencontré Bruno Letort, compositeur et directeur d’Ars Musica, et lui avons posé quatre questions. Quatre façons d’en découvrir un peu plus sur lui et sur ce qui l’anime.

Directeur du festival Ars Musica, programmateur et animateur à Radio France, orchestrateur pour Stromae, enseignant … C’est difficile de vous définir ! Vous faites le grand écart en permanence ?

Ce n’est pas totalement un grand écart. J’aime bien la musique en fait! (rires) Au départ, mon parcours est celui d’un musicien. Mais j’ai du mal à me contenter d’une seule chose : je pense que je n’aurais jamais pu n’être que compositeur. Travailler à Radio France, par exemple, m’a ouvert d’autres perspectives : je me suis posé des questions que je ne m’étais jamais posées en tant que compositeur. Et le travail avec Stromae, c’est un hasard. J’ai fait beaucoup d’arrangements quand j’ai commencé ma carrière, lorsque j’avais une vingtaine d’années. J’adore les orchestrations. Donc on m’a appelé pour réaliser celles de son dernier album, Multitude, avec un orchestre symphonique. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas fait d’arrangements pour la variété. Finalement ça a changé quelque chose chez moi, ça m’a libéré. J’ai adoré cette collaboration. D’abord parce que c’est un grand artiste, et puis parce que je suis persuadé que la musique contemporaine traverse une vraie crise, esthétique mais aussi de rencontre avec le public. Je crois beaucoup aux formes plus hybrides où on va chercher un public qui ne s’attend pas à ce qu’on lui propose. À Ars Musica, notre slogan est “Surprenez vos oreilles” et c’est précisément cela : comment surprendre l’auditeur·rice.

Comment la musique de film est-elle arrivée dans votre parcours professionnel ?

Le hasard a fait que c’est plutôt la musique contemporaine qui m’a donné des clés. J’ai participé à beaucoup de films comme compositeur mais surtout comme directeur artistique. J’ai supervisé de nombreuses séances d’enregistrements, notamment avec Anne Fontaine ou Benoît Jacquot. J’adore ce métier de directeur artistique et ce qu’il y a de génial dans la musique de film, c’est qu’il n’y a aucune barrière esthétique. Quand les gens vont voir un film ils ne se disent pas “oh la la, c’est quoi cette musique dodécaphonique ?“, “oh la la c’est quoi ce son étrange ?”. Je pense que par l’image on peut faire passer un discours musical très fort. On le voit bien dans le film La planète de singes avec la musique de Jerry Goldsmith dont on a d’ailleurs joué la partition sans le film, l’année dernière, avec l’Orchestre National de Belgique : c’est une partition, pour l’époque, résolument contemporaine.

Que désirez-vous transmettre à travers ce cours ?

Pendant très longtemps, la musique de film a été selon moi le champ des possibles car elle possédait une ouverture qui ne se posait pas la question de l’esthétique. On a vu dans l’histoire du cinéma des choses absolument extraordinaires qui relèvent de l’expérimentation musicale. Je pense à la première musique composée par Bernard Herrmann, complice d’Alfred Hitchcock, qu’il crée quand il arrive à Hollywood. Il écrit une pièce pour un ensemble de thérémines (ancien intrument de musique électronique) et de trombones avec une utilisation très particulière d’un instrumentarium. C’est cela qui m’intéresse et que je souhaite partager : pointer l’intérêt artistique de ces musiques qui ne sont pas juste un accompagnement de l’image.

Quels sont les couples de réalisateurs/compositeurs les plus emblématiques ?

Alfred Hitchcock & Bernard Herrmann, François Truffaut & Georges Delerue, sans oublier David Lynch & Angelo Badalamenti. Il y a une sorte d’osmose, d’esthétique, de mariage parfaitement réussi entre eux. Twin Peaks est une réussite avec sa musique un peu “kitsch”. Dans Mulholland Drive, la scène où l’actrice ouvre la boîte de Pandore est un moment clé, où autant la narration que la musique se transforment. Et bien entendu Sergio Leone & Ennio Morricone, qui, au départ, venait de la musique contemporaine et expérimentale. Tous ces couples sont mythiques et ont entretenu des relations particulières, parfois conflictuelles.

Propos recueillis par Sophia Wanet

Retrouvez Bruno Letort lors de son cycle de cours Les langages du son au cinéma les 16, 23, 30.05 & 06, 13.06 entre 18h et 20h. Plus d’infos : https://iselp.be/evenement/les-langages-du-son-au-cinema/2023-05-16/