Elen Braga est une artiste brésilienne qui vit à Bruxelles. Sa pratique repose sur la réalisation de tâches autoimposées, souvent démesurées, qui confinent parfois à l’absurde. Elle explore par ce biais les processus de constructions-narrations du soi-sujet et s’intéresse particulièrement à la façon dont les mythes influencent la force, l’ambition, la futilité ou la résilience de la personne humaine, y compris celles de la femme.
Le nouveau projet de Braga, Elen Ou Hubris, est un gigantesque tapis entièrement réalisé à la main (handtufted) (touffeté à la main) de 120 m2 reproduisant l’image d’une femme debout sur un piédestal. Créé sous la forme d’un autoportrait géant de l’artiste haut de 24 mètres, ce tapis monumental est installé verticalement devant l’arcade centrale de l’arc de triomphe du parc du Cinquantenaire à Bruxelles à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes en 2020. Ce projet ambitieux et « icarien » a pour objectif d’entrer en dialogue avec le monument national où il est exposé et avec l’image de la ville elle-même. Le choix de l’emplacement fait donc partie intégrante du travail.
La construction de l’arc de triomphe du Cinquantenaire s’était inscrit dans le cadre de l’ambitieux projet d’urbanisme porté par le roi Léopold II qui voulait décorer et baliser la ville de Bruxelles de repères symboliques prestigieux. L’architecte Charles Girault proposa un projet en trois arcs pour souligner la symbolique d’une ville ouverte dans un geste d’accueil. Après de longues négociations entre le roi et le gouvernement, l’arc fut inauguré le 27 septembre 1905, moins de neuf mois après le début de sa construction. Ce fut un succès total et fulgurant qui consacra l’ambition volontariste du roi. Braga associe ce genre de grand geste urbain à la notion d’Hubris. Dérivant du mot grec ὕβρις, l’idée d’Hubris qualifie l’orgueil exagéré, l’excès de confiance en soi ou l’arrogance qui défie les normes de comportement et qui, dans son contexte grec original, défie les dieux. En matérialisant l’excès idéologique, les monuments urbains, pour Braga, illustrent ce concept en occupant les espaces publics comme les rappels d’un passé (trop) sûr de lui-même, et comme les images d’un avenir qui avait été imaginé selon un ordre dont on voudrait (peut-être) s’affranchir. Elen Braga cherche à rouvrir le débat sur la monumentalité, l’orgueil, les images auto-projetées, la persistance des futurs envisagés dans le passé et propose de revisiter le paysage urbain en s’interrogeant sur son iconographie, ses idoles, ainsi que sur l’image et la place de la femme dans le discours urbanistique et architectural.
Projet auto-initié en 2018, l’artiste confectionne méticuleusement l’ouvrage à l’aide de 200 kilos de laine fournie par des entreprises belges. Cela nécessite un labeur journalier de 5 à 7 heures afin de respecter l’échéance du 8 Mars 2020.
La structure même de l’œuvre de Braga se réfère à l’un des exemples historiques les plus parlants d’Hubris, celui de Nabuchodonosor. En 562 av. J.-C., le roi de Babylone défie l’ordre du monde et offense Dieu en construisant une statue de lui-même qui mesure 60 fois la longueur de son avant-bras, 60 coudées. Adoptant les mêmes proportions et dimensions, Elen Ou Hubris propose une image monumentale auto-construite comme un assemblage, un tissage de différents héros et déesses. Elle réunit des identités passées, présentes et futures, combinant des rôles et des positionnements multiples comme ceux de la femme, du héros, ancien ou moderne, du (futur) corps de Nabuchodonosor dans sa version féminine, de Niké la déesse de la Victoire, de la déesse égyptienne du Ciel, de la fausse idole, de l’immigrante, du Roi et de l’Artiste.
Par sa taille et son emplacement, Elen Ou Hubris évoque une multiplicité de perceptions de soi et revendique avec audace une place et une visibilité dans le paysage urbain comme catalyseur d’une réflexion critique sur l’ordre monumental et patriarcal des choses.
www.elenbraga.com
Détentrice d’un post-master en Performativity Studies de a · pass (Bruxelles), Elen Braga (Caxias, Maranhão, Brésil, 1984) a présenté son travail dans de nombreux contextes incluant Performatik 19 (avec a · pass, Bruxelles), SOKL (Anvers, 2019), le Tomie Ohtake Institute (São Paulo, 2015), la 17e Biennale de Cerveira (Portugal, 2013), le MUVIM – Valencian Museum of Enlightenment and Modernity (Valence, 2015), Samples – MULF | Museo Universitario Leopoldo Flores (Mexique, 2015), SESC Belenzinho (Sao Paulo, 2017). Elle a également eu l’occasion d’expérimenter différents contextes de résidence (AIR ANTWERPEN, Anvers; Central Saint Martins, Londres).